Pourquoi cet article ?

Aujourd’hui, Jador fête ses 6 ans (déjà !), et c’est à cette occasion, après 4 années passées ensemble, que j’ai souhaité vous parler de la première jument de ma vie : cette magnifique petite demi-sang arabe, pleine de paradoxes et d’une extrême sensibilité.

C’est une jument qui n’a jamais connu la maltraitance et qui a eu une vie relativement classique, à quelques détails près que je vais vous raconter ici. Elle n’a donc, à première vue, « aucune raison » d’être délicate ou de présenter des troubles du comportement… Et pourtant, elle m’a souvent fait des noeuds au cerveau et continue encore parfois à le faire !

Il me semblait important de partager notre histoire, car je suis persuadée que beaucoup s’y reconnaîtront. Si cela peut aider ne serait-ce qu’une personne, ce sera déjà une grande satisfaction. Jador est la preuve qu’il est essentiel de prendre en compte les émotions de tous les chevaux, pas seulement de ceux qui ont été traumatisés ou maltraités.

Sa vie avant moi

Jador de l’Empery est une demi-sang arabe née le 7 mai 2019, issue d’un père pur-sang arabe d’endurance (Umar d’Alenthun) et d’une mère type Camargue. Elle est née dans un petit élevage en Lozère, près de l’Aubrac. Sevrée à 7 mois — (ce texte n’a pas vocation à débattre du sevrage, mais j’en parlerai sûrement un jour), elle a été vendue au printemps de sa première année, puis accueillie dans une écurie du Cantal par sa première famille.

Deux semaines après son arrivée, elle a eu un accident au pré : fracture du grasset droit. S’en sont suivis de nombreux questionnements sur la suite à donner… À contrecœur, sa gardienne a d’abord décidé de ne pas l’opérer. Son éleveuse, que j’ai contactée 1 an plus tard pour obtenir des informations sur sa première année de vie, croyait d’ailleurs que la pouliche avait été euthanasiée. Elle était persuadée que Jador était morte à 1 an…

Et pourtant, contre toute attente, Jador a été opérée. S’en est suivie une longue convalescence, qui s’est avérée très bénéfique : aujourd’hui, elle ne garde aucune séquelle physique ne sont accident. En revanche, cette période de solitude et de soins, bien que nécessaire à sa guérison, a eu un impact important sur son développement émotionnel et comportemental. Jador est, je pense, naturellement sensible, mais imaginez une pouliche vivant quasiment isolée, entre clinique, box, mini paddock… puis un pré partagé uniquement avec un vieux shetland, pour éviter les accidents, tout ça pendant 1 an à un âge où clairement le contact avec d’autre chevaux aurait été essentiel à son développement.

Finalement, bien qu’elle ait été douce aux soins, elle a été mise en vente : trop fine pour les longues randonnées prévues pour le futur, et surtout trop compliquée pour la fille de sa propriétaire, alors âgée de 10 ans.

Son arrivée à 2 ans et les premières remises en question

J’ai acheté Jador au lendemain de ses 2 ans, en mai 2021. Je remercie encore son ancienne famille de me l’avoir confiée, à moi, et pas à l’une des nombreuses autres personnes intéressées

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Elle est arrivée en pension dans un troupeau en pré collectif, chez des particuliers non loin de chez moi. Oui, en troupeau, alors qu’elle avait vécu quasiment seule pendant un an, sans avoir appris à interagir correctement avec ses congénères. Si c’était à refaire, je procéderais autrement. Et d’ailleurs, j’ai fait différemment lorsqu’elle a changé de pension six mois plus tard.

J’ai découvert une jument très proche de l’humain, curieuse, expressive, adorable et facile… avec une bouille qui faisait fondre tout le monde. Mais aussi une jument en colère, frustrée, qui ne connaissait aucune limite dans la relation à l’humain. À la moindre contrariété ou émotion, elle menaçait : dents, postérieurs etc… En totale opposition avec son côté doux et câlin. Impossible d’entrer au pré avec une friandise dans la poche sans déclencher une agression si on ne lui donnait pas immédiatement. J’ai souvent dit qu’elle avait deux facettes.

Six mois plus tard, mes colocataires de pré m’ont appelée : elle ne les laissait plus entrer pour récupérer leurs chevaux au pré. Elle chargeait et tapait dès qu’elles faisaient un pas vers eux. J’ai donc pris une double décision : changer de lieu de vie et me faire accompagner.

Accepter de se faire aider

Nous sommes arrivées en décembre 2021 chez As équitation, auprès d’Amandine, qui nous a énormément aidées dans l’éducation de Jador et dans notre compréhension mutuelle.

Jador a appris à communiquer avec ses congénères : d’abord un, puis deux, puis trois… Jusqu’à ce qu’un an et demi plus tard, quand nous l’avons sentie prête, elle intègre enfin un troupeau complet. Grâce à cette intégration progressive, elle s’est bien acclimatée. Au début, elle était timide : elle n’osait même pas aller vers les autres chevaux, restait cachée derrière moi. Ce jour-là, j’ai su que j’avais eu raison de l’écouter, de m’écouter, et de prendre le temps nécessaire pour une étape aussi importante.

Il a fallu du temps pour déconstruire ses comportements parfois agressifs, mais elle a rapidement compris qu’elle pouvait continuer à être expressive, qu’elle devait même l’être, mais sans menacer ou attaquer à la moindre frustration. Elle s’est révélée être une jument formidable, très réceptive, qui apprend vite et propose beaucoup au travail : un vrai bonheur.

Mais surtout, j’ai appris à être claire dans mes demandes et à mieux la lire. Et ça, ça a tout changé. Tout est devenu beaucoup plus fluide et naturel entre nous.

Jador aujourd’hui

Quatre ans plus tard, Jador est une jument incroyable (elle l’était déjà, en réalité). Très à l’écoute, proche de l’humain, mais aussi très indépendante, c’est un bonheur au quotidien. J’ai une confiance totale en elle, que ce soit à pied, montée ou dans tout le travail d’éducation, qui a d’ailleurs été un vrai plaisir une fois les problèmes comportementaux compris.

Elle n’a plus aucun comportement agressif envers l’humain. Elle garde parfois quelques mimiques, oreilles plaquées, faciès crispé, lorsqu’elle vit une émotion négative voir même sans raisons évidentes parfois, mais les progrès sont immenses, et nous continuons de travailler là-dessus.

Elle apprend désormais de nouveaux exercices en renforcement positif, avec friandises, et gère très bien la frustration malgré son passé. Elle reste très expressive et heureusement ! Je ne voulais surtout pas qu’elle perde sa personnalité. Elle sait encore dire non, montrer son désaccord si nécessaire, et c’est une excellente chose.

Cependant Jador reste et sera toujours une petite jument délicate et sensible avec du sang, qu’il faut savoir aborder avec tact et douceur. Si on sait demander plutôt que imposer, elle donne tout, et même plus. Mais si on cherche à lui mettre la pression sans l’écouter elle peut vite changer de facette.

Aujourd’hui, elle m’offre une relation de confiance exceptionnelle, et un amour réciproque inconditionnel.

La révélation de ma vocation

Je le dis souvent : rien n’arrive par hasard. Et je sais que Jador n’est pas entrée dans ma vie sans raison. Elle m’a ouvert une voie. Elle a été la première à m’obliger à me remettre profondément en question, après 20 ans d’équitation.

C’est grâce à elle que j’ai eu envie de devenir comportementaliste équin, pour aider d’autres chevaux et leurs gardien·nes à mieux se comprendre et à améliorer leur relation.

J’ai donc choisi de changer de vie, pour la consacrer à l’accompagnement du cheval, suite à ma formation chez Équitalliance en 2023–2024. Et tout cela, je le lui dois.

Pour moi elle m’a appris que chaque cheval est différent, que leur passé ne définit pas à 100% qui ils sont ni les émotions qu’ils peuvent ressentir et exprimer, qu’il faut savoir nous remettre en question nous en temps qu’humain et que écouter nos chevaux, apprendre à les comprendre et suivre nos intuitions est toujours une très bonne idée…

Merci ma merveilleuse jument, la jument de ma vie pleine de paradoxes, de m’apporter chaque jour un peu plus.